Chaussures minimalistes : quoi, pourquoi, comment ?

On entend parler des chaussures minimalistes parfois comme d’une solution miracle à tous les maux, et parfois comme d’une idée dangereuse et farfelue. Qu’en est-il vraiment ? Dans cet article, je vous présente les aspects importants de cet objet initialement utilisé comme protection contre les blessures et le froid, et qui est devenu un objet de mode, de performance et de débats intenses !

Qu’est-ce qu’une chaussure minimaliste ?

En très résumé, une chaussure minimaliste est une chaussure qui n’entrave pas le fonctionnement du pied, et qui n’essaye pas d’en remplacer les fonctions. En détails, on retient cinq critères :

  • une semelle plate (zéro talon, pas de « rampe à orteils »),
  • un avant de chaussure qui donne de la place aux orteils,
  • une semelle souple,
  • une semelle qui n’amortit pas les chocs,
  • une chaussure qui tient bien au pied.

Une semelle plate

Un aspect presque universel des chaussures courantes est la présence d’une différence d’épaisseur de la semelle entre l’avant du pied et l’arrière du pied. Pour simplifier, j’écris « un talon ». Il peut être très présent comme dans les chaussures à talon, ou plus discret comme dans les chaussures « business » ou les baskets. Une chaussure minimaliste n’a pas de talon, mais une semelle plate.

Un autre aspect qu’on retrouve dans la plupart des chaussures est une différence de niveau entre le bol du pied (la zone des articulations entre les orteils et le reste du pied) et le bout des orteils. J’appelle cet aspect une « rampe à orteils ». Une chaussure minimaliste n’a pas de « rampe à orteils », mais une semelle plate.

Une semelle souple

Les semelles de la plupart des chaussures est très rigide. Elle ne se plie en général que très peu, et uniquement sous le bol du pied. Une chaussure minimaliste a une semelle souple, qui se plie facilement dans toutes les directions et sur toute sa longueur. Sa semelle peut ainsi épouser le terrain sous les pieds.

Cette exigence, ainsi que la prochaine, fait que les chaussures minimalistes ont en général une semelle fine.

Une semelle qui n’amortit pas les chocs

Beaucoup de semelles de chaussures de sport (mais pas seulement) amortissent fortement les chocs. Une chaussure minimaliste aura une semelle fine, qui laisse au pied et à la cheville le soin de gérer l’amortissement.

Un avant de chaussure qui laisse de la place aux orteils

La plupart des chaussures ont leur point le plus large au niveau des articulations entre les orteils et le reste du pied. Passé ce point, elles sont plus ou moins pointues. Une chaussure minimaliste laisse la place aux orteils de se placer dans leur position naturelle. En particulier, le point le plus large est plus en avant, au niveau de l’extrémité du petit orteil. La forme de la chaussure permet aussi au gros orteil de s’étendre en ligne droite depuis le talon.

Une chaussure qui tient bien au pied

Certaines chaussures ont tendance à se séparer spontanément du pied, en partie ou en tout. On pense ici principalement aux tongs, mais aussi aux chaussures à enfiler comme certaines ballerines. Une chaussure minimaliste est construite de façon à ce que la semelle reste en contact avec le pied, sans demander d’effort.

Pourquoi porter des chaussures minimalistes ?

Pourquoi porter des chaussures avec une semelle plate ?

Lorsqu’on porte des chaussures munies d’un talon tel que décrit sous le titre précédent, même petit, les muscles et les tendons du mollets auront tendance à se raccourcir. En effet, ils n’ont plus besoin de s’allonger autant que ce serait le cas si on était pieds nus. Cela peut avoir comme conséquence des problèmes aux tendons d’Achille. Dans de telles chaussures, il n’a plus la longueur nécessaire pour gérer les diverses situations de la vie de tous les jours.

chaussure à talons vs. chaussures minimalistes : différence de longueur des muscles du mollet

Le port de talons change aussi complètement la biomécanique des jambes, du bassin et du dos. En effet, notre corps doit se comporter constamment comme si on était debout sur une pente. Cela peut mener à des douleurs dans les genoux ou dans le dos notamment.

Porter des chaussures avec une « rampe à orteils » peut mener à un raccourcissement des tendons des muscles extenseurs des orteils, et une perte de mobilité dans les articulations des orteils. Le premier cas est évident : si les orteils sont constamment en extension (« relevés »), les muscles qui font cette action vont se raccourcir. Cela peut mener à des situations d’orteils « crochus » ou « en marteau ».

La perte de la mobilité dans les articulations des orteils demande un peu plus de réflexion. En effet, elle vient du fait que la « rampe » remplace le besoin de bouger les orteils. Lors de la marche, la dernière partie du pas demande de basculer le pied arrière par-dessus ses orteils.

mobilité du gros orteil durant la marche

Or, si la forme de la chaussure crée ce mouvement, le pied n’a plus besoin de le faire. Cela diminue le mouvement dans les articulations à la base des orteils. Cette perte de mouvement peut mener à une perte de mobilité, ainsi qu’une mauvaise santé des cartilages.

Pourquoi porter des chaussures avec une semelle souple ?

Notre pied est extrêmement mobile. En effet, il est composé de 26 os qui s’agencent en 33 articulations. Cela veut dire qu’un quart des os du corps se situent dans les pieds (selon les sources et les individus, il y a entre 206 et 213 os dans le corps humain adulte). Pour le garder en bonne santé, il est donc important que tous ces os puisent bouger les uns par rapport aux autres. Cela se fait naturellement lorsqu’on marche pieds nus ou avec des chaussures minimalistes sur une variété de terrains. Si on porte des chaussures avec une semelle rigide, ces mouvement n’auront pas lieu. Celles et ceux parmi vous qui ont dû avoir des articulations immobilisées suite à une fracture par exemple savent à quel point l’immobilité change le corps.

Pourquoi porter des chaussures dont la semelle n’amortit pas les chocs ?

Ce point est probablement le plus surprenant pour beaucoup de gens. C’est aussi de là que vient en général la réticence de certains milieux à recommander largement le port de chaussures minimalistes. En effet, sans autres précautions, de telles chaussures peuvent mener à des blessures. En particulier pour une personne qui a porté des chaussures rigides toute sa vie. C’est pour cette raison que cet article comporte une troisième section « comment gérer la transition vers des chaussures minimalistes ».

Mais alors, pourquoi est-il bénéfique de porter des chaussures qui n’amortissent pas les chocs ? Parce que notre pied est très bien équipé pour le faire, et bien mieux que n’importe quel amalgame de matières synthétiques. En effet, autour des chevilles passent de nombreux tendons qui servent d’amortisseurs naturels en conjonction avec le tendon d’Achille. Quand tout fonctionne parfaitement, cet assemblage peut absorber des forces considérables : jusqu’à 5 fois le poids du corps en sprint pour les athlètes les plus performants !

Lors de la marche, le pied arrière joue un grand rôle de retenue pour que l’impact du pied avant se fasse en douceur. Lorsqu’on porte des semelles qui amortissent les chocs, on ne se rend pas compte de l’impact du talon au sol. En effet, un impact qui serait douloureux pieds nus ne semble poser aucun problème. Or, cet impact a quand même lieu sans la retenue du pied arrière, et l’impact se transmet directement le long de la colonne. Cela peut créer des douleurs et des dysfonctionnements à tous les étages ; par exemple dans les hanches, le dos, la nuque et même la tête.

Des chaussures comme des gants de boxe

Pour comprendre ce mécanisme, il est intéressant d’étudier un sujet tout à fait différent : les gants de boxe. En effet, depuis l’introduction des gants dans les compétitions de boxe, le type de blessure a radicalement changé. Sans gants, les boxeurs se fracturaient les doigts et les os du visages ; avec gants, ils ont des commotions cérébrales, et parfois des dégâts de longue durée au cerveau.

Cela vient du fait qu’avec les gants, les coups sont moins douloureux, et on peut donc frapper plus fort. On peut aussi être un peu moins prudent quant aux coups qu’on reçoit. Par contre, la quantité de mouvement transmise du poing à la tête est la même, voire augmente. Dans le cas des chaussures à amorti, on peut se permettre de frapper le sol du pied parce que cette action n’est pas directement douloureuse. Par contre, cet impact peut avoir un effet important plus haut dans le corps.

Pourquoi porter des chaussures qui laissent la place aux orteils ?

Les orteils font partie intégrante du système de stabilisation et de propulsion humain. En particulier, le gros orteil est idéal pour gérer les forces importantes de la phase de propulsion du pas marché. Pour cette raison, il est important qu’il puisse se placer dans la direction de la marche, aligné avec les os de l’intérieur du pied. Lorsque ce n’est pas le cas, on perd en stabilité et en force de propulsion. De plus, cela peut mener à long terme à des déformations importante, appelée « oignon » ou « bunion ».

bunions

Des cas de déformations similaires peuvent aussi se passer autour du petit orteil, mais de façon beaucoup plus rare. Par contre, si le petit orteil ne peut pas se placer et bouger librement, il va perdre en mobilité active et en force. Cela engendrera une perte du potentiel d’équilibre, et donc une augmentation du risque de chute.

Pourquoi porter des chaussures qui tiennent bien au pied ?

Cela est assez évident, mais il vaut toujours la peine de préciser. Lorsqu’on porte des chaussures dont la semelle n’est pas bien maintenue contre la plante du pied, notre pied doit fournir un effort particulier pour ne pas perdre la chaussure, ou ne pas l’accrocher dans un obstacle. Cela mène à une modification du fonctionnement du pied qui peut, à terme, mener à certaines difformités comme les orteils « crochus ».

Comment gérer la transition vers des chaussures minimalistes ?

Si vous avez porté des chaussures « normales » pendant des années, la transition directe à des chaussures minimalistes peut être difficile. En effet, les tissus de vos pieds et autour de vos chevilles ne sont peut-être plus adaptés à la marche pieds nus. Il est aussi possible que les muscles qui gèrent la forme du pied soient atrophiés et que vous en ayez partiellement perdu le contrôle. Pour ces raisons, il y a trois axes importants à gérer lors de la transition :

  • les tissus (automassages, étirements),
  • les muscles (exercices, progression en difficulté),
  • le matériel (chaussures « entre-deux »).

En plus de ça, il est important de procéder par étapes. Par exemple, il est évident que pour une personne très sédentaire qui a porté des chaussures rigides et contraignantes toute sa vie, il serait une très mauvaise idée de commencer par une course « trail » de plusieurs dizaines de kilomètres pieds nus.

Prendre soin des tissus lors de la transition vers des chaussures minimalistes

Il y a deux familles de tissus qui ont besoin d’attention particulière lorsqu’on recommence à marcher à pieds nus ou avec des chaussures minimalistes : les amortisseurs de la cheville (muscles du mollets, tendon d’Achille, muscles du compartiment postérieur profond de la jambe et leurs tendons) et les tissus intrinsèques des pieds (fascia plantaire, muscles intrinsèques des pieds).

Pour les premiers, il est bon d’étirer la cheville, par exemple comme proposé dans cet article. Pour réhabituer ces tissus aux longueurs requises pour la marche sans talon, étirez souvent mais peu intensément. Maintenez les étirements à une intensité constante pendant environ une minute.

Les 4 étirements des chevilles présentés dans cet article.

Pour les seconds, des automassages sont plus appropriés. Je recommande de suivre cet article sur l’automassage des pieds. En particulier, les mouvements de rotation, ainsi que l’étirement passif des orteils seront bienvenus. Progressez à votre rythme et pas plus vite. La réhabilitation peut prendre plusieurs semaines en y passant du temps tous les jours, ou plusieurs mois ou années si on a moins de ressources à y affecter.

auto-massage pieds entrelacer orteils

Dans la nature, vous pouvez marcher sur une variété de pentes (particulièrement en montée) et sur une variété de terrains. Commencez par les pentes douces et les terrains un peu mous et pas trop irréguliers, comme une plage ou une pelouse. Lorsque cela vous paraît facile, augmentez la difficulté en parcourant des pentes plus fortes, ou en travers de votre trajectoire. En terme de terrain, commencez à explorer les terrains plus accidentés, comme un pâturage, ou plus durs, comme des chemins de forêt pleins de racines et de cailloux.

Rééduquer les muscles lors de la transition vers des chaussures minimalistes

La forme du pied est gérée par de nombreux muscles situés à l’intérieur du pied, mais aussi dans la jambe. Pour pouvoir fonctionner correctement, le pied a besoin que ces muscles soient forts, et que leur centre moteur (dans le cerveau) soit prêt à les mobiliser.

Pour cela, je recommande des exercices de ce qui est parfois nommé « yoga des orteils ». En effet, il est important que les orteils puissent agir de façon raisonnablement indépendante. Cela permet au pied d’assurer une meilleure stabilité, même sur un sol irrégulier ou instable. En particulier, on veut s’assurer de l’indépendance et la mobilité du gros orteil.

Un article détaillé sur les exercices des pieds est en préparation. En attendant, voici quelques exercices qui y seront détaillés :

  • relevez les orteils, écartez-les, et ramenez-les au sol, toujours bien écartés ;
  • gardez le gros orteil au sol, et relevez les autres ;
  • gardez les 4 plus petits orteils au sol, et relevez le gros ;
  • bombez la voûte plantaire, en gardant bien le talon et la base du gros orteil au sol.

Ne vous inquiétez pas si certains de ces exercices semblent tout simplement impossibles. Si vous essayez régulièrement, au bout de nombreuses tentatives, les mouvements viendront. En effet, à chaque essai, les chemins nerveux de contrôle ainsi que les muscles nécessaires se renforcent. Armez-vous de patience ; selon l’état de vos pieds, il faudra peut-être des centaines d’essais avant qu’un mouvement soit visible.

Une transition en douceur : des chaussures pas tout à fait minimalistes

Enfin, la transition peut aussi être reflétée dans les chaussures choisies. En effet, si les critères comme l’espace laissé aux orteils et la platitude de la semelle peuvent être adoptés d’emblée, il peut être judicieux de choisir une semelle avec un certain amorti pour commencer. En effet, il faudra un certain temps à vos pieds et à vos chevilles pour être prêts à jouer leur rôle d’amortisseur. De plus, si vous passez beaucoup de temps debout ou à marcher sur des surfaces très dures (comme le goudron des trottoirs), le défi pour vos tissus est particulièrement marqué.

Quelques recommandations : quelles chaussures minimalistes porter ?

Si vous débutez dans le domaine des chaussures minimalistes, il peut être compliqué de trouver des marques ou des modèles qui vous conviennent. De plus, la plupart des magasins de chaussures n’ont pas de ces modèles en stock. Il convient donc le plus souvent de commander par internet, ou de trouver un des rares magasins spécialisés. Si vous parlez l’anglais, une source d’informations précieuse est un site de tests et d’avis nommé Anya’s Reviews. Vous trouverez plus bas quelques recommandations basées sur ma propre expérience, ainsi que sur celle de client·e·s qui ont adopté ces chaussures.

  • Vivobarefoot : une des marques vedettes de la chaussure minimaliste. De nombreux modèles sont disponibles qui couvrent une variété de styles.
  • Be Lenka : des styles classiques à la mode minimaliste.
  • Altra running : des chaussures de sport minimalistes, ou avec un léger amorti. Idéales pour gérer la transition si vous pratiquez la course à pieds.
  • Camper Peu : un modèle particulier qui présente un léger amorti, idéal pour la transition.
  • Feelgrounds
  • Tadeevo
  • Lems
  • Xero shoes
  • Shamma Sandals

Sources et lectures supplémentaire

  • Simple Steps to Foot Pain Relief de Katy Bowman pour une explication plus complète des mécanismes du pied et leur implication pour la vie de tous les jours ;
  • Va Nu-Pieds ! de Katy Bowman pour davantage de détails sur la transition (commander dans la boutique) ;
  • Born to Walk de James Earls pour une exploration en profondeur de la marche humaine.

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